La Forme de l’eau : L’amour monstre

Reviews Film La Forme de l’eau : L’amour monstre

Dans la vie de tous les cinéastes, il y a des tournants, des périodes importantes durant les-quelles l’erreur n’est pas permise. Avec vingt-cinq ans de carrière au compteur et deux derniers projets fascinants (Pacific Rim et Crimson Peak) mais ayant reçu un accueil relativement tiède, la sortie de La Forme de l’Eau semblait correspondre à un de ces moments pour Guillermo del Toro. Bonne nouvelle, avec ce dixième film qui, de son propre aveu, est aussi son plus personnel le réalisateur mexicain est parvenu à trouver un équilibre délicat et quasi-miraculeux pour livrer un film à la fois populaire et audacieux dans lequel son érudition cinématographique et sa passion pour le médium crève l’écran en permanence.

Sur le papier, il est bien difficile de faire honneur à La Forme de l’Eau en se contentant d’un résu-mé bête et méchant. Le film se déroule en pleine Guerre froide dans les années 60 et nous ra-conte l’histoire de Elisa, femme de ménage muette travaillant dans un laboratoire, qui va tomber amoureuse d’une créature aquatique. Dans les faits, par contre, les raisons pour lesquelles le film est maintenant multi-récompensé aux Oscars sont évidentes. En effet, en livrant son oeuvre la plus culottée jusque-là, del Toro vient aussi nous offrir sa plus grande réussite.

Le cinéma joue une part importante dans le dixième film de Guillermo del Toro. A première vue, impossible d’ignorer l’influence de L’étrange Créature du lac noir, aussi bien dans le design de son monstre que dans l’histoire que le film raconte. Cependant, il serait réducteur de résumer La Forme de l’Eau à une version actualisée du film Jack Arnold tant l’érudition du réalisateur mexi-cain lui permet d’aller piocher plus loin dans ses influences pour nourrir son film. En plus des élé-ments propres au conte de fée et à la romance gothique, désormais marque de fabrique de del Toro, il y a clairement un parfum de Douglas Sirk ou de Vincente Minelli dans La Forme de l’Eau. Des influences qui se ressentent à travers l’utilisation des couleurs, dans les éléments liés au musical ou encore tout simplement dans les nombreuses références à l’âge d’or du cinéma po-pulaire hollywoodien. Le film peut d’ailleurs être vu comme un immense hommage au septième art tant la caractérisation des personnages et leurs relations trouvent écho dans les références utili-sées par del Toro. Elisa vit, par exemple, au dessus d’un vieux cinéma et les dialogues des films diffusés filtrent régulièrement à travers le sol de son appartement pour accentuer ses propres sentiments. De plus, l’amitié entre l’héroïne et Giles semble liée à leur passion commune pour le grand Hollywood tandis que Elisa et la créature partagent un moment intime et à l’importance capitale à l’intérieur d’une salle de cinéma vide. Néanmoins, le réalisateur se montre assez brillant pour éviter de tomber dans un délire postmoderne et délivre, au contraire, un film profondément actuel dans ce qu’il raconte.

Si le récit se déroule en 1962 et tire donc ses influences d’une époque plus ou moins révolue ci-nématographiquement parlant, le propos du film apparait, quant à lui, particulièrement moderne et pas seulement pour ce qui est de l’aspect Guerre Froide qui revient évidemment sur le devant de la scène aujourd’hui pour plusieurs raisons évidentes.

Ce ” conte de fée pour des temps troubles ” comme le réalisateur aime décrire son film vient re-fléter pleinement notre époque à de nombreux niveaux en subvertissant les archétypes que l’on trouve traditionnellement dans les histoires du genre. C’est d’ailleurs cela qui démarque principa-lement le film de ses influences. Alors que de façon générale, le personnage du militaire américain propre sur lui, en tout cas en apparence, est souvent destiné à être le héros dans les films de monstres, le réalisateur en fait ici le bad guy ultime, véritable prototype de l’homme blanc au comportement toxique (le personnage de Strickland, interprété par Michael Shannon, a d’ailleurs une partie du corps qui pourrit littéralement à mesure que le film avance). Même chose pour son trio de personnages principaux qui sont respectivement une femme avec un handicap, un homme homosexuel et une femme noire. Des rôles donc très souvent relégués à l’arrière plan, voir même totalement absents des films du genre. Ce renversement des rôles et, au final, la vic-toire de ces trois personnages et de la créature sur Strickland trouve alors une résonance for-cément très forte à notre époque.

Guillermo del Toro vient aussi se détacher de ses modèles en abordant frontalement les thèmes très adultes, généralement présents entre les lignes dans ce genre de fiction. C’est d’ailleurs le film du réalisateur dans lequel l’aspect sexuel est le plus prégnant et direct. Del Toro fait claire-ment preuve d’une volonté marquée de représenter la sexualité féminine de façon positive et normale, en évitant d’y poser un aspect ‘cinéma d’exploitation’.

Si cela peut être vu comme un détail en apparence, ça participe en fait complètement à la sub-version des rôles habituels puisque ce n’est pas le sexe entre l’héroïne et la créature qui appa-rait monstrueux mais bien la scène entre Strickland et sa femme. Il se dégage alors du film une sensation d’alliance entre classicisme dans la forme et ton résolument moderne dans le fond permettant au réalisateur d’explorer pleinement ses thématiques autour de l’amour, de l’acceptation de soi et de l’autre et de l’isolation, le tout dans un mélange des genres très réussi qui appuie un propos universel.

Un mélange des genres réussi car del Toro parvient à livrer un ensemble cohérent grâce à son savoir faire derrière la caméra. La Forme de l’Eau rappelle, en effet, qu’il est un des plus grands conteurs visuel au cinéma actuellement. Avec des mouvements de caméra fluides et toujours élégants, une utilisation des couleurs d’une cohérence totale et une photographie magnifique dans laquelle le vert et l’or dominent, del Toro et son équipe font preuve d’une maitrise sidérante pour créer une atmosphère qui confère un parfum intemporel au film. Un aspect qui est renforcé par les designs, les costumes ainsi que l’utilisation d’effets pratiques aussi bien en ce qui con-cerne le maquillage prosthétique utilisé pour la créature que durant les séquences aquatiques réalisées, en fait, à l’aide de la technique du dry of wet. Aussi, en osant des changements de tons remarquables, qui ne viennent jamais parasiter le développement des enjeux, del Toro crée une oeuvre hybride entre romance, tragédie, comédie musicale et horreur, ce qui permet, là aus-si, au film de s’imposer comme une expérience unique malgré les influences du réalisateur mexi-cain qui transpirent en permanence à l’écran..

Enfin, malgré toutes les évidentes qualités du film en terme d’écriture et d’un point de vue visuel, rien ne fonctionnerait aussi bien sans les prestations des acteurs. De ce côté là, La Forme de l’Eau ne déçoit pas non plus.

Même si le casting en impose déjà sacrément sur le papier, dans les faits c’est encore plus im-pressionnant. Sally Hawkins livre la performance de sa carrière, Michael Shannon, lui, parvient à mettre en avant juste ce qu’il faut d’humanité pour convaincre et donner clairement chair à son bad guy alors que Richard Jenkins brille dans un rôle beaucoup plus difficile qu’il n’y parait en permettant une identification naturelle envers son personnage, ce qui renforce l’impact de son rôle de narrateur au sein du film. Ces prestations sont, en plus, parfaitement complimentées par le reste des seconds rôles avec des acteurs qui sont tous à la hauteur.

Au final, La Forme de l’Eau représente un cap important dans la carrière de Guillermo del Toro. S’il a toujours délivré un message humaniste à travers son oeuvre, jamais il n’a poussé son dis-cours à ce point vers une affirmation positive de la vie autant d’un point de vue émotionnel, char-nel que spirituel. Il parvient à ce résultat grâce à un sens du rythme quasi-parfait (même si, à la première vision, on peut trouver que le point de non-retour dans la relation entre Elisa et la créa-ture arrive un peu vite) et à la façon dont il développe les enjeux en étant en permanence centré sur les émotions et l’évolution de ses personnages. Tout ça en semblant s’affranchir des limites présentes dans son cinéma jusque-là mais en parvenant, également, à offrir une sorte de syn-thèse de l’ensemble de sa carrière à l’intérieur d’un seul film. A ce niveau, on peut bien parler de chef-d’oeuvre sans galvauder le terme.

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