Rick Remender est un auteur prolifique. Remarqué il y a plus de dix ans avec des oeuvres comme Strange Girl, The Last Days of American Crime et surtout Fear Agent, le scénariste a atteint un nouveau rang au niveau de la reconnaissance publique avec son travail chez Marvel il y a quelque années. C’est pourtant bien depuis son départ de la Maison des Idées qu’il a montré toute l’étendue de son talent en se lançant pleinement dans l’aventure du comics indépendant, principalement chez Image Comics, avec des séries comme Black Science, Low ou Tokyo Ghost. Parmi ses oeuvres récentes c’est la meilleure d’entre toutes, ce qui n’est pas peu dire, qui nous intéresse aujourd’hui : Deadly Class. Publiée donc par Image Comics depuis 2014, Deadly Class raconte l’histoire de Marcus Lopez. Archétype même du héros, Marcus est un adolescent ayant perdu ses parents qui va se retrouver, par la force des choses, à vivre dans la rue. Très vite recruté par une école qui se spécialise dans la formation d’assassins, il va alors devoir évoluer ou plutôt survivre parmi les progénitures des patrons des plus grosses mafias du monde et au milieu d’adolescents plus tarés les uns que les autres. Le tout dans l’environnement de la fin des années 80.
D’entrée, avouons que Remender nous demande d’adhérer à un postulat pour le moins étrange. En effet, il peut être assez difficile de croire pleinement à un univers dans lequel une école serait chargée de créer les plus gros sociopathes de demain. En particulier quand celle-ci n’est pas dans le business de la formation de nos chers hommes et femmes politiques… Néanmoins grâce au traitement de l’auteur, ce point de départ passe tout seul et permet surtout une montée en puissance dans ce que raconte la série.
Si le pitch de base est une bonne excuse pour que l’on ait droit à notre lot de séquences d’actions avec, au programme, violence explosive et affrontements cathartiques entre psychopathes, il permet aussi à l’auteur d’explorer les affres de l’adolescence mais en renforçant l’impact des situations grâce à l’environnement littéralement mortel dans lequel les personnages évoluent. Si le lycée peut-être une expérience difficile, imaginez ce que ça peut donner dans un établissement réservé aux tueurs en herbe les plus doués de ce monde. A partir de là, Remender va jouer avec les codes des genres qu’il convoque faisant voyager son comics entre tranche de vie adolescente, récit de revanche hardcore et comédie potache pour livrer un portrait assez complet, parfois tendre, parfois abrasif à la fois de cette période spéciale durant laquelle les hormones nous jouent des tours et des mentalités dans les années 80.
C’est bien ce qui permet, entre autre, à Deadly Class de se démarquer. L’auteur ne force jamais l’écriture pour exploiter le gimmick de base et laisse son histoire respirer en s’attardant sur la caractérisation, la vie interne et les relations liants ses personnages. De ce côté, Remender fait preuve d’une maitrise sidérante et parvient, au cours de son oeuvre, a traité du cas d’un nombre incalculable de personnages sans que ça ne joue en la défaveur de son intrigue.
Ainsi, et même si à première vu on se trouve face à un ensemble d’archétypes : la japonaise badass qui joue du katana, l’ado manipulatrice qui cache bien son jeu, le « mâle alpha » un peu con, le geek mal dans sa peau et j’en passe… les protagonistes prennent tous de l’épaisseur et deviennent, à leur façon, très attachants ou en tout cas fascinants à travers leur évolution.
Avec tous ces éléments en place, Deadly Class avance à un rythme enlevé, qui ne cesse jamais de faire progresser ses situations au sein d’une intrigue globale qui se nourrit de tous les conflits plus discrets des personnages secondaires pour donner vie à un univers riche et foisonnant qui sort des cases dans lesquelles il aurait été facile de ranger la série au départ. De ce côté Remender ne déçoit pas et, tout habitué qu’il est à torturer ses personnages principaux dans la plupart des titres qu’il écrit, l’auteur n’adoucit pas son style ici. Au contraire, Deadly Class nous permet de découvrir des protagonistes qui ont tous quelques cicatrices sur et sous leur chair dès le début de l’intrigue et qui en auront tous de nouvelles à mesure que la série avance implacablement. Tout ça, même quand on s’y attend le moins d’ailleurs car le scénariste américain sait livrer quelques twists bien sentis et jamais cheap car reposant sur une vraie proposition narrative et pas uniquement sur la recherche d’un effet de choc facile. De plus, si Deadly Class n’hésite jamais à explorer des thèmes sombres, il ne faut tout de même pas s’attendre à une série qui vire à la tragédie pur jus. En effet, au milieu des trahisons, des morts et de la violence, se trouve aussi une célébration de la vie dans les pages du comics ainsi qu’un véritable hommage à la pop culture qui a nourri l’auteur et qui, évidemment, nourrit le titre. Dans l’optique de mettre en avant l’expérience adolescente dans sa globalité, Remender se permet alors des parenthèses desquelles se dégagent une réelle tendresse pour ses personnages alors qu’il les laisse volontiers débattre des bienfaits du cinéma de genre ou du Trash-Metal tout en écoulant les packs de bière.
Evidemment, les années 80 ont un rôle très important dans la série. L’intelligence et le talent de Remender tient dans le fait qu’il parvient à faire revivre cette décennie, sans le côté nostalgique qui prédomine dans une grosse partie des oeuvres du moment. Ici, le cadre de cette période à l’imagerie très marquée est mis au service de l’histoire et des personnages et le récit ne donne jamais l’impression d’être guidé par un auteur qui regarde dans le rétroviseur.
Au contraire, Deadly Class va de l’avant avec une vraie force de conviction et les années 80 sont aussi une façon pour Remender de glisser des éléments autobiographiques sans se montrer complaisant. Nul doute que tous les personnages disposent d’une partie de l’auteur ou de ses proches de l’époque en eux et ce n’est pas toujours très beau à voir. C’est par contre, fort heureusement, toujours passionnant à lire. Au final, là où de nombreuses oeuvres actuelles utilisent cette décennie bêtement et uniquement pour capturer le sentiment nostalgique bien dans l’air du temps sans rien avoir à dire sur le sujet, Remender se sert de tout ça comme d’une toile de fond sans se perdre dans un discours du « c’était mieux avant ».
Au delà de son écriture brillante, l’autre grande force de Deadly Class réside dans sa partie graphique. Graphique, c’est d’ailleurs bien le mot pour décrire le travail de Wes Craig sur le titre. Au sommet de son art, l’artiste balance des planches au découpage intelligent et chirurgical qui lui permet de communiquer un nombre impressionnant d’informations au sein d’une même page sans jamais perdre en lisibilité. A cela, il faut ajouter un coup de crayon inspiré et plein d’assurance, des chara-designs qui sont parmi les plus cool dans le monde du comics actuel et un sens inné de la mise en page pour servir la narration en faisant de chaque grand moment une merveille visuelle qu’il est difficile d’oublier. La patte visuelle de la série doit aussi beaucoup au travail sur les couleurs qui donne un aspect pulpy à l’ensemble. Pour faire simple, Deadly Class est une oeuvre stylisée et parfois radicale dans ses choix visuels et s’il vous en faut plus pour être convaincu, il suffit d’admirer les couvertures de chaque numéro de la série qui sont, à elles seules, de petits chefs-d’oeuvre.
Revenge story viscérale, récit sur l’adolescence et sur le poids de l’héritage, méditation sur la nature de la dépression, comics pleins de yakuzas, de tueurs à gage et de psychopathes, véritable hommage à la puissance de la pop culture, oeuvre tout autant moderne que rétro, conte tragique et violent mais qui sait aussi se montrer extrêmement drôle… Deadly Class parvient à être tout ça à la fois sans jamais perdre son unité narrative, ni trahir son univers. Un petit miracle sous forme de bande dessinée porté par un des meilleurs auteurs de sa génération et par un artiste au sommet, qui réussissent à faire passer la pilule d’un point de départ casse-gueule avec une facilité et une honnêteté sans faille dans le propos. Il faut donc souhaiter bon courage à Syfy et aux frères Russo qui préparent actuellement une adaptation TV. En l’état, pas de doute, Deadly Class est bien d’une classe mortelle.